Le Kojiki Premier Commencement du Ciel et de la Terre 『古事記』 天地初発之時 

Le Koji-ki (古事記, Rapports des faits anciens, 712), écrit en japonais, nous permet de mieux éclaircir les fondements de la mentalité et de la vision du monde des Japonais, par rapport au Nihon-shoki (日本書紀、Annales du Japon, 720), rédigé en chinois.

Lisons d’abord comment le Kojiki raconte la genèse du monde divin. Voici la traduction littérale :

Lorsque le Ciel et la Terre se séparèrent pour la première fois, celui qui devint dieu dans les Plaines Célestes (Takama no Hara) fut le Dieu Maître du Centre du Ciel (Ame-no-Minakanushi-no-Kami) , puis le Dieu Sublime de la Force génératrice (Taka-mi-Musubi-no-Kami), puis le Dieu de la Force génératrice Divine (Kami-Musubi-no-Kami). Ces trois divinités surgirent chacune seules (en tant que dieux solitaires) et aussitôt, elles disparurent de la vue. (Kojiki)

Ici, nous assistons à la genèse des trois divinités, qui apparaissent spontanément sans intervention d’aucun Créateur. Il n’y a aucune force extérieure qui exécute l’acte de création, et ce trait caractérise fortement la nature de la genèse japonaise et la distingue radicalement de la Création du monde, telle qu’elle est narrée, par exemple, au début de la Bible :

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et toute nue, les ténèbres couvraient la face de l’abîme : et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux.
Or, Dieu dit : Que la lumière soit faite ; et la lumière fut faite. Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière d’avec les ténèbres. (Genèse)

Les différences entre les deux récits sautent aux yeux ; d’un côté, c’est Dieu qui effectue la Création, et par sa parole, la lumière est crée et se sépare des ténèbres ; de l’autre coté, tout semble être une naturelle genèse, sans une cause précise, à la suite de la première apparition du Ciel et de la Terre. On pourrait dire que dans le Kojiki, ce n’est pas le récit de la Création, mais celui du ‘Devenir’.

En fait, les noms des deux divinités, Takami-Musuhi-no-Kami et Kamu-Musuhi-no-Kami, se composent principalement du mot, “musu“, qui signifie ‘devenir’ ou ‘germer’, et du terme, “hi”, qui signifie probablement l’âme ou la forme spirituelle. Ce qui devint une divinité n’est signalé aucunement, si bien que nous observons simplement une apparition successive des trois divinités primordiales.
Remarquons que cette succession est accentuée par la répétition de l’adverbe, “puis”.

Le récit de la genèse des divinités se poursuit de la même manière, sans le créateur ni la cause.

Puis, quand la Terre, toute jeune et semblable à l’huile flottante, dérivait ainsi qu’une méduse, les noms de ceux qui, d’une chose surgissant comme une pousse de roseau, devinrent des divinités, étaient Umashi-Ashikabi-Hikoji-no-kami, puis Amé-no-Tokotachi- no-kami. Ces deux divinités, encore célibataires, se retirèrent.
Ces cinq divinités sont les plus distinguées parmi les autres divinités célestes.

Ces passages illustrent clairement une nature aquatique de la conscience fondamentale chez les anciens Japonais, mais aussi chez les Japonais d’aujourd’hui. Au commencement, tout est mou et fluide, semblable à l’huile ou à la méduse, et à l’image de la pousse de roseau, tout semble naître et croître spontanément.

Le terme, “Ashikabi”, inclus dans le nom d’une divinité, signifie la pousse de roseau, et met l’accent sur l’intransivité de l’énergie génératrice, en harmonie avec le mouvement flottant de l’eau.

La narration dirigée par l’adverbe, “puis”, contiune encore, jusqu’à l’apparition du couple jumeau masculin et féminin, Izanagi et Izanami.

Puis, les noms de ceux qui le devinrent étaient Kuni-no-tokotati-no-kami, puis Toyokumo-no-kami. Ces deux divinités, célibataires, se retirèrent.
Puis, les noms de ceux qui devinrent des divinités étaient Uhi-gini-no-kami, puis sa sœur Imosu-hijini-no-kami. (Puis s’ensuivaient trois autres couples jumeaux). Puis, Izanagi-no-kami, puis sa sœur Izanami-no-kami.
Depuis Kuni-tachi-no-kami jusqu’à Izanami-no-kami, toutes les divinités étaient appelées ensemble les sept générations de l’ère divine.

Comme nous allons l’examiner prochainement, Izanagi et Izanami sont des divinités fondatrices des îles et d’autres divinités. À partir d’eux, la genèse évolue vers la procréation ; ils s’unissent et donnent naissance à leurs enfants, qui sont d’abord des îles (pays), et ensuite de diverses divinités.

Notons que “izana(u)” signifie l’invitation, “gi” désigne l’être masculin, et “mi”, l’être féminin.
Leur procréation est donc sexuée, ce qui diffère de la genèse naturelle, aussi bien que de la création par Dieu.

Remarquons qu’avant leurs actes d’enfantement, l’énumération successive et monotone des noms des divinités a été constamment rythmée par l’adverbe, “puis”, ce qui revêt une signification d’une première importance.

En effet, le terme “puis” ne reflète qu’un simple ordre temporel, similaire au ‘avant’ et ‘après’, sans indiquer ni la cause ni l’effet, ni le début ni la fin. Ainsi, l’impression d’assister à un interminable défilé de divinités se fait sentir, sans que leurs relations ne soient claires.

En conclusion, nous pouvons constater que le récit du Premier commencement du Ciel et de la Terre nous révèle quelques traits principaux de la genèse des premières divinités :

  1. La genèse se déroule au mode du Devenir, à l’opposé de la procréation sexuée et de la Création par Dieu.
  2. Il n’y a ni créateur, ni démiurge ni Dieu qui procède à la Création.
  3. À chaque moment, tout se produit naturellement et de manière intransitive.
  4. La succession des événements est particulièrement mise en avant par la répétition nombreuse de l’adverbe,”puis” ; en revanche, l’idée de la causalité fait défaut.
  5. L’état fluide de la Terre, semblable à l’huile ou à la méduse, indique que l’eau domine dans la cosmogonie japonaise en tant qu’élément primordial.
  6. L’image de la pousse de roseau incarne une force de la vie en perpétuel émergence à chaque instant.

Dans le récit de la procréation des pays et de divinités par Izanagi et Izanami, l’on remarquera à nouveau ces caractéristiques, qui demeurent toujours profondément ancrés dans la mentalité et la vision du monde des Japonais.

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