Le Kojiki Izanagi et Izanami au Pays d’Yomi 2/2 『古事記』 黄泉の国のイザナギとイザナミ

Izanami, étant décédée, est inhumée dans le Mont Hiba, alors qu’Izanagi part la revoir dans le Pays d’Yomi (la Fontaine Jaune).
Que représente l’épisode de cette visite ?

Ce qui se déroule entre ce couple jumeau dépasse grandement notre imagination. Le corps de la divinité féminine est dévorée par des vers. Terrifié par cette vision épouvantable, le mari tente de s’enfuir, tandis que la femme le poursuit avec l’aide de ses agents et à la fin, elle-même.
Finalement, Izanagi place un grand rocher sur la Pente d’Yomotsu-Hira-Saka afin de délimiter la frontière entre les deux domaines : celui de la vie et celui de la mort.

Remarquons qu’au moment où Izanagi rend visite à sa chère épouse, il n’existe aucune barrière entre le monde des vivants et le pays de la Fontaine Jaune. Si Izanami ne peut plus en sortir, c’est parce qu’elle a consommé de la nourriture de ce pays. Il semble que le monde des morts ne soit pas complètement séparé, ni hermétiquement clos, par rapport au monde des vivants.

Au retour du chemin, le rocher déposé sur la pente agit en tant que la démarcation décisive entre le domaine d’Izanagi vivant et celui d’Izanami morte.
Et si le visiteur se purifie après son retour dans son domaine, le pays qu’il a visité est considéré comme un lieu d’impureté, de saleté ou d’abjection.

On peut en conclure que la narration du Pays de la Fontaine Jaune témoigne de l’émergence de la conscience de deux dimensions du monde ; ce monde-ci et le monde de la transcendance, soit le ciel soit l’enfer.

Voici ma proposition de traduction littérale.

(4) Au Pays d’Yomi (Fontaine jaune)

Izanagi, désireux de revoir sa chère Izanami, alla à sa suite au Pays d’Yomi (la Fontaine Jaune). Lorsqu’elle sortit de la porte fermée du palais, il s’adressa ainsi : « Ma belle bien-aimée, les pays que, toi et moi, nous allions enfanter n’étaient pas encore achevés. Il faut que tu reviennes. » Izanami répondit : « C’est dommage que tu ne sois pas venu plus tôt. J’ai mangé, hélas, de la nourriture du Pays de la Fontaine Jaune. Malgré cela, ô mon cher et respectable époux, tu as eu la gentillesse de venir jusqu’ici. Par conséquent, désireuse de revenir, je vais consulter la Divinité de la Fontaine Jaune. Cependant, il ne faut en aucun cas que tu me regardes ! »

Note :

1.
Il arrive que le Pays d’Yomi (que je traduis par “la Fontaine Jaune” d’après la signification des caractères d’origine chinoise) soit souvent considéré comme les enfers ou comme un lieu des ténèbres situant dans le monde souterrain, mais parfois aussi comme une montagne.
Ainsi, on ne peut pas préciser avec certitude l’emplacement de ce pays.

2.
L’anecdote de la nourriture est similaire au mythe grec de Perséphone. Dans ce mythe, Perséphone est enlevée aux enfers par Hadès et doit y rester un tiers de l’année car elle a consommé de la nourriture des morts.

3.
On fait vaguement allusion à la Grande Divinité qui puisse régner sur le pays de la Fontaine Jaune, mais elle ne joue aucun rôle dans le déroulement de la narration.
Ce fait pourrait suggérer l’absence d’une hiérarchie absolue de divinités, une absence résultant de la genèse du “Devenir” où il n’y a pas d’unique démiurge créateur du monde.

4.
L’interdiction de regarder est avancée dans le but d’être transgressée.
Voir le folklore japonais de la grue-femme, où une grue se transforme en femme pour épouser un homme qui l’a sauvée, mais lui interdit de la voir tisser. L’homme transgresse l’interdiction et découvre son secret, ce qui provoque la disparition de la grue-femme. C’est en effet un thème similaire au folklore de Mélusine, la fée-serpent.


À ces mots, elle rentra à l’intérieur du palais. Izanagi l’attendit si longtemps qu’il détacha et alluma une grande dent du sacré peigne attaché au nœud gauche de ses cheveux. Enfin, avec ce feu, il pénétra dans le palais et observa des vers fourmiller et émettre des bruits ; à la tête d’Izanami se trouvait le Grand Tonnerre, à son sein le Tonnerre du Feu, à son ventre le Noir Tonnerre, à son vagin le Tonnerre fendant, à sa main gauche le Jeune Tonnerre, à sa main droite le Tonnerre de la Terre, à son pied gauche le Tonnerre sonnant, à son pied droit le Tonnerre couchant ; au total, huit espèces de dieux du Tonnerre s’étaient formées de son corps en décomposition.

Note :

5.
Le corps d’Izanami, dévoré par les vers, représente l’état originel de la genèse dans le genre du Devenir ; en fait, huit divinités en émanent successivement.


Surpris et effrayé de cette vue, Izanagi s’enfuit, alors qu’Izanami vociféra : « Que tu m’as fait honte ! » et ordonna à la Hideuse du Pays de la Fontaine Jaune de le poursuivre.
Lui, il prit la noire guirlande de tête et la jeta par derrière. De là poussèrent des vignes de montagne. Pendant qu’elle en mangeait, il s’enfuit. Elle le poursuivit derechef, il brisa et jeta cette fois le sacré peigne attaché au nœud droit de sa chevelure ; de là poussent des pousses de bambou. Lorsqu’elle en tirait et mangeait, il continua de se sauver.

Note :

6.
Izanami exprime le sentiment de honte à Izanagi, qui l’a vue dans un état répugnant et abject. Ce sentiment est profondément enraciné dans la mentalité des Japonais.

7.
La genèse des choses s’effectue dans le mode du ‘Devenir’ ; en fait, la guirlande de tête devient des vignes de montagne, le peigne des pousses de bambou.


Ensuite, Izanami somma aux huit espères de dieux du Tonnerre de le pourchasser avec 1500 armées du Pays de la Fontaine Jaune. Izanagi s’évada en brandissant derrière lui son épée d’une portée de dix mains. Leur poursuite continuant, ils arrivèrent au pied de la pente escarpée, Yomotsu-Hira-Saka, qui séparait ce monde (réel) du Pays de la Fontaine Jaune, et à ce moment, Izanagi jeta trois fruits de pêche envers les troupes, qui se retournèrent toutes en retraite. Alors, il déclara aux pêches : « De même que vous m’avez secouru, vous viendrez en aider à tous les hommes-herbes vertes du Pays central de la Plaine de roseaux, lorsqu’ils tomberont malades dans la peine et l’ennui. » Et il les nomma Oho- Kamutsu-mi-no-mikoto.

Note :

8.
Ce n’est qu’une simple pente escarpée qui marque la séparation entre le pays des morts de celui des vivants. De là, on peut penser que la barrière étanche n’existait pas entre ces deux domaines avant l’acte d’Izanami d’y placer un grand roche, comme illustré dans l’épisode suivant.

9.
Dans le récit mythologique du Kojikki, l’existence de l’être humain est indiquée pour la première fois par le terme spécifique tel que “hommes-herbes vertes” qui vivent dans le Pays central de la Plaine de roseaux.
Dès l’épisode du Premier Commencement du Ciel et de la Terre, l’image de roseau représente la force de la vie.

10.
Les fruits de pêche deviennent des divinités, à qui zanami donne le nom d’Oho- Kamutsu-mi (âme d la grande divinité).
Il s’agit de la genèse due au “Devenir”, tout comme celle des vignes et des des pousses de bambou.


Enfin, c’était Izanami elle-même qui relança la poursuite. Izanagi posa le Rocher de Chihiki (tiré par la force de milles hommes) sur la pente d’Yomotsu-Hira-Saka, et à travers cet obstacle rocheux ils parlèrent face à face de leur séparation : « Mon cher époux, comme tu le fais ainsi, je vais tuer mille hommes-herbes de ton pays par jour », dit Izanami, à qui répondit Izanagi : « Ma chère épouse, si tu le fais ainsi, je vais construire mille cinq cents maisons d’accouchement. » C’est ainsi que mille hommes meurent sûrement en un seul jour, mille cinq cents hommes naissent sûrement en un seul jour.

Note :

11.
Remarquons que la séparation du couple jumeau entraîne une division décisive entre le monde des vivants et celui des morts, qui était jusqu’ici assez floue et ambiguë.
Pour ainsi dire, la vision du monde évolue d’une forme de monisme au dualisme.
L’épisode des hommes tués et des hommes naissant mettent en évidence l’opposition entre le monde vivant d’Izanagi et le monde mort d’Izanami.


C’est pourquoi Izanami a pour nom Yomotsu-ookami (la Grande Divinité du Pays de la Fontaine Jaune). Autrement, puisqu’elle poursuivait et atteignait son époux, elle est appelée Jishiki-no-ookami (la Grande Divinité atteignant la route). Le rocher, posé à la Pente du Pays de la Fontaine Jaune, s’appelle Michi-Kaéshi-no-ookami (la Grande divinité rebroussant le chemin), ou la Grande Divinité bloquant la Porte du Pays de la Fontaine Jaune. De nos jours, la Pente Yomotsu-Hira-Saka a pour nom la pente Ifuya dans le pays d’Izumo.
Finalement, Izanagi dit : « J’ai été dans le pays le plus souillé parmi les pays souillés ! Je vais me débarrasser de la saleté en me lavant » Il arriva alors à la plaine Awaki près de la petite porte de Tachibana dans la région d’Himukai de Tsukushi et s’y purifia. 

Note :

12.
La dernière parole prononcée par Izanagi suggère que le monde des morts est perçu comme celui de la saleté, de la souillure ou de l’abjection aux yeux des vivants.
Ainsi c’est l’objet de conjurations ou de sortilèges, que les anciens Japonais pratiquaient fréquemment. La purification accomplie par Izanagi est une pratique parmi tant d’autres.

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