Les Japonais sont particulièrement sensibles à la beauté de l’automne. La Preuve en est qu’il y tant de wakas (chants japonais) qui chantent cette saison aussi belle que langoureuse.
Voici quelques wakas de l’automne.

Le printemps ne connaît que la pleine floraison, l’automne est meilleur quant à la tristesse des choses (monono-awaré). (auteur inconnu)
春はただ 花のひとへに 咲くばかり、もののあはれは 秋ぞまされる (詠み人知らず)
On ne voit pas distinctement l’arrivée de l’automne, alors que les bruits du vent m’en avertissent. (Fujiwara Toshiyuki)
秋来ぬと 目にはさやかに 見えねども 風の音にぞ おどろかれぬる(藤原敏行)
Le clair de lune entrevu parmi les arbres annonce l’avènement de l’automne, quui ne manque pas de susciter des pensées soucieuses. (auteur inconnu)
木の間より もりくる月の 影見れば 心づくしの 秋は来にけり (詠み人知らず)

Le vent est si frais à la rivière, avec ses flots se lève l’automne. ( Kino Tsurayuki)
川風の 涼しくもあるか うちよする 浪とともにや 秋は立つらむ(紀貫之)
Entre les nuées flottant au vent d’automne se filtre le clair de lune, quelle beauté transparente de son ombre. (Sakyo-no-daibu Akisuke
秋風に たなびく雲の たえ間より もれいづる月の 影のさやけさ(左京大夫顕輔 さきょうのだいぶあきすけ)

À la ronde, il n’y a ni de fleurs ni de feuilles rouges ; une cabane de chaumes au soir de l’automne. (Fujiwara Teika)
見渡せば 花も紅葉も なかりけり 浦の苫屋の 秋の夕暮 (藤原定家)
Ce waka de Fujikawa Teika a pour source un passage du Dit de Genji :
Ce qui est de plus beau, ce n’est pas la floraison ni des fleurs de printemps ni des feuilles rouges d’automne, mais une certaine ombre de touffes d’herbes qui sont là humblement.
「なかなか、春秋の紅葉の盛りなるよりは、ただそこはかとなう茂れる陰どもなまめかしきに」(源氏物語)

Ainsi que les feuilles rouges qui ne puissent résister au vent d’automne, je suis emporté je ne sais où, avec une tristesse indicible. (auteur inconnu)
秋風に あへず散りぬる もみぢ葉の ゆくへ定めぬ 我ぞかなしき (詠み人知らず)
La lune m’amène aux milles réflexions langoureuses, bien que l’automne n’arrive pas qu’à moi seul. (Ooé Chissato)
月みれば ちぢにものこそ 悲しけれ わが身一つの 秋にはあらねど (大江千里(ちさと))
Au vent d’automne change la couleur des feuilles au mont,
Je me doute d’un changement au cœur de l’être humain.
秋風に 山の木の葉の うつろへば 人の心も いかがとぞ思ふ (素性法師)
Ah Grillons, ne crient pas aussi vivement ! Durant la nuit d’automne, je souffle plus longuement que vous.
きりぎりす いたくな鳴きそ 秋の夜の 長き思ひは 我ぞまされる(藤原忠房)

Ne connaissant pas bien le bon goût, je peux quand même goûter de l’awaré au bord de la rivière d’où partent des bécasses, au crépuscule d’automne. (Saïgyo)
心なき 身にもあはれは 知られけり 鴫立つ沢の 秋の夕暮れ (西行)
Envoi : photos de l’automne à Maya-san
https://bohemegalante.com/2019/11/24/autumn-in-maya-2019/

Pour quelle raison les japonais aiment-ils tant la tristesse douce et langoureuse ?
La vie humaine est éphémère ; tout change et disparaît au fur et à mesure du temps qui passe.
Il semble être de même pour les quatre saisons ; l’été laisse la place à l’automne, qui ne résiste pas à l’arrivée de l’hiver, ainsi de suite.
Mais, après l’hiver revient le printemps, puis l’été.
C’est l’éternel retour en un sens.
Rimbaud a écrit : « L’automne déjà ! — Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons. » (Une saison en enfer)
Les Japonais sont des gens qui meurent sur les saisons, et ils ne cherchent pas ni l’éternel soleil ni la clarté divine. Ils plaisent à vivre sur l’instant et aiment bien connaître la déréliction des choses dans une morne solitude, tout en sachant que rien ne meurt ainsi que l’éternel retour des saisons.
La vie humaine est éphémère.
La vie elle-même est éternelle.
Voilà la raison pour laquelle la sensibilité japonaise ne cesse d’être attirée par la beauté des choses fragiles et périssables.
À la tombée des feuilles rouges en automne, on se dit : « au revoir et à l’année prochaine. »